Nous songions au silence que fait l'éternité, lorsque débarrassé de ses

habits de chair, le cœur errant du monde vague et vole nuitamment en

direction des sphères initiales et futures.

Nous songions à la nuit immortelle et immense où chaque être qui vit, un jour

se précipite pour retrouver en lui cette conscience sans limite d'un néant jusque

là poursuivit et chassé ainsi qu'un ennemi.

Nous songions au mouvement immobile et ultime de notre esprit rendu au point

de son départ; au jour où il n'était pas seulement un désir dans l'œil de nos ainés,

pas seulement un instinct dans le corps d'une bête et pas même un noyau au cœur

d'une cellule. Le hasard gouvernait l'apparition d'un sens ; un dieu déjà veillait sur

le sort d'une espèce. Son nom était révolte, désordre et possession ; son arme

était la peur et son butin le monde. Nous étions sous son joug avant même que notre

tête surgisse à l'air libre, avant même que nos mains puissent se saisir d'un sein....

...Vouloir, c'est chercher l'autre en soi. Pouvoir, c'est suffire à soi-même. Nulle

transcendance autre qu'échange; nulle espérance autre que mélange.

Nous aspirions à vivre plus heureux que nos pères, plus longtemps que nos

frères, plus vivement que nous-même. Il nous fallait sans cesse une besogne

neuve, un défi plus lointain, un horizon plus improbable.

Nous aspirions à mordre aux fruits les plus juteux, aux bonheurs les plus suaves,

aux délices les plus fins....Ce n'est que sur poussières, cailloux et ossements que

les mâchoires serrées nous nous cassions les dents.

Nous aspirions à peindre une beauté plus secrète que la courbe d'une hanche,

un mystère plus complet que le cercle des jours, une grâce plus gratuite que

les sommets des villes. L'invisible en tout était notre seul maître et l'indicible notre

crédo. Nous ne voulions briller qu'aux tréfonds des enfers, là où la flamme est forge

et le métal, fusion.

Nous buvons désormais la lie amère des rêves comme s'il s'agissait de l'ambroisie

radieuse du démiurge antique. Népenthès, pur nectar sensé chassé l'ennui et procurer l'oubli.

Nous buvons par gorgées l'air vicié et puant de la geôle où croupit la dépouille grotesque

qui nous tient lieu d'enveloppe.

Nous buvons des paroles prononcées par un fou du toit de son asile et susurrées

sans cesse aux creux de nos oreilles lasses et à-demi folles.

Nous avons soif du bruit de l'eau, du chant du feu, du son du vent...

Horizon