Aux soldats, aux inconnus, aux morts

Aux soldats, aux inconnus aux morts

le soldat inconnu n'est il pas l'étranger qui peuple les rivages d'un lointain paradis ?

Est-il cet ennemi ce barbare aux yeux rouges et aux moeurs sauvages ?

N'est-il pas justement celui qui a passé la frontière invisible séparant l'homme honnête de l'ignoble manant ?

Il est l'Autre c'est sûr, celui que je ne suis mais pour lequel j'ose livrer ma force et mon esprit.

Pour dire, ce n'est pas quelqu'un de dérangeant ; tous les morts c'est vrai sont de sages conseillers, d'habiles apparences qui habitent nos songes et comblent notre conscience.

Mais n'est-il pas d'abord avant d'être un soldat, un parfait inconnu ? Un semblable sans doute ! Mais qui donc ne l'est pas ?

C'est un pareil qui doute, c'est un vivant qui hait, c'est un soldat qui crie l'horreur de cette guerre, la folie de cette lutte et le vertige de l'homme face aux pleurs de la femme, aux sourires de l'enfant et au départ d'un frère !

C'est un vaincu qui gît au creux de chaque oreille, au sommet de chaque mont, au plat de chaque tombe !

C'est un vainqueur qui brille aux lèvres de toutes coupes, aux ailes de tous emblèmes aux pointes de toutes armes !

C'est la charge guerrière dans l'ivresse du meurtre, c'est l'anonyme pleurant dans la nuit du désastre !

C'est celui fusillé pour désobéissance, c'est celui qui blessé meurt par inadvertances !

C'est toi, qui fuit la mort injuste pour une cause inepte !

C'est moi, qui presse la détente vers la cible en mouvement !

C'est lui, immobile et figé par le froid et la glace, altéré par la soif, décharné par la faim, dévoré de puces et de poux !

C 'est la lèpre des peurs rongeant le coeur de l'homme enserré dans l'étau des devoirs et des causes !

C'est l'éblouissement, la charge aveugle et impérieuse de soutenir comme une terre, de défendre un enfant, de porter une idée !

C'est l'anéantissement des songes doux et clairs contre l'enfer du feu et l'ardeur de l'urgence !

C'est ce bouquet de fleurs au pied de l'idée nue, c'est la dépouille blanchie de l'immonde inconnu !

C'est cet enfant qui pleure après sa bille perdue ; la fleur d'un adieu tombée sur le ciment d'un quai d'embarquement, foulée par les pieds sourds d'un milliers d'exilés ! C'est le bannissement de l'être que je suis et c'est l'exil sans fin d'une attente meurtrie.

C'est la douleur aveugle, la cruauté perfide, le mauvais sort du faible !

C'est la foi prophétique de l'équarisseur aux yeux troubles et la grâce arrachée aux deux mains du bourreau !