d'un vol vers l'austral
D'un vol vers l'austral
Tourner les mots au plus abrupt de leur sonore secret
et de leur sens caché.
Faire parler le mystère qui gît tapi dans l'ombre, où les
contraires semblent se répondre et se nourrir d'affinités
suspendues au-dessus d'une interrogation ou planquées dans le noir
substrat où germent les sombres certitudes...
Là où l'explication avorte aux falaises du désir et où l'émotion submergée,
par l'impératif d'un futur cinglant l'écueil de la mémoire, disparaît dans
l'écume d'une fin sans renouveau.
Quand le froid s'insinue soutenu d'un vent sec aux corniches de grés
dominant l'étendue, l'oiseau quitte son nid pour gagner les rivages où
il n'est plus paria du climat de nos côtes ni plus seul à hanter l'espace
vide du ciel.
Ainsi je vais fuyant ces lieux natals de pierre empruntant les étages
aériens et déserts, poursuivi par la meute des nuées délétères vers
un asile plus doux et un plus tiède confort. La brise des songes de
l'ailleurs n'est plus alors qu'un point trompeur perdu derrière l'immensité :
Astre fixe d'un rêve sans autre terme que le lointain, ni autre feu que le certain.
Et l'horizon bleuâtre où les eaux se confondent à l'azur terni par les
buées vespérales semble l'unique destin d'un voyage sans retour, d'un
vol sans autre étape que cette ligne s'esquivant toujours plus loin dans
le déclin et plus profond dans l'indistinct. Le bleu recule au ciel de ma
destination gagné par l'ombre noire qui cercle l'océan d'une mâchoire d'airain et
dresse sur les abords ces stèles de marbre sombre aux yeux de mes espoirs.
La fuite du jour alors marque l'heure terrifiante où il n'est plus d'amers pour
conduire mon périple et plus de souvenirs pour embraser l'ardeur de mon
itinéraire privé de tout refuge.
Je sens peser sur moi l'étrange fardeau de deux murailles faites de vapeurs
et de buées et qui se rapprochant, tenaillent ma vue d'un arc gazeux lesté de
flux chargés en électricité. L'air plombé par la masse des nébulosités pesantes
et mobiles exhale des particules de soufre qui s'irisent dans la fragile clairière
ouverte sur les étoiles...
Et l'instant suspendu au globe sélénite inonde l'océan d'un livide rayon qui colore
l'étendue mouvante et maussade, d'une moire de mercure...
Et des gerbes d'écume sèment de place en place des éclats lumineux qui,
irradiant la mer d'une manière de pensée, semblent naître des esprits
remuant parmi les fonds.
Attentif au spectacle des feux venus des astres auxquels sourdement
l'abysse semble répondre, s'impose à ma raison la force d'un mystère enchâssant
mon esprit derrière le voile de l'illusion et le masque de la chimère.
Mais bientôt l'océan et le ciel disparaissent sous l'obscur manteau des nuages
qui gagnent sur mon trajet, tirés par un vent scélérat qui gémit au contact de
l'élément liquide et hurle sous l'épaisseur soufré de l'atmosphère.
Mon vol perd en hauteur ce qu'il gagne en vitesse, propulsé par le souffle
qui m'accompagne toujours. Et tandis que la nuit cède à un jour laiteux sur
les confins extrêmes du méridien austral, se découpe la silhouette noire et
franche à la fois, d'une montagne de glace dérivant dans des eaux parcourues
de sillons et remous ténébreux.
Brutalement tombé le vent ne porte plus, et les nuées prodigieuses qui
oppressaient ma course cessent de me poursuivre, libérant à mes yeux l'espace
pur d'un ciel où flotte çà et là des bourgeonnements blêmes qui s'irisent sous les
rais d'un soleil blanc et bas.
L'espace liquide s'illumine de tons céruléens, semés de place en place d'icebergs
éclatants dont les facettes rayonnent et miroitent sur les eaux.
Un grand silence précède la vision d'une terre engloutie sous les glaces et qui
dresse au ciel ses sommets et ses pics tels des flèches de givre d'un lointain édifice.
L'oiseau rejoint le grand troupeau des congénères bruyants et fols sur le glacier
luisant baigné d'un jour qui s'étire plus longtemps qu'une lune et plus encore
qu'une saison.