la borne indicatrice
La
nuit, telle la paume d'une main voluptueuse sur une
poitrine tiède, enveloppe le hameau, ses collines et ses dômes.
Des feux s'allument aux fenêtres des chaumines perchées sur les
monts qui voisinent le village endormi, au creux de la vallée.
Le ciel sombre et sans joie semble se mirer et luire sous l'aveugle
réverbère où l'asphalte renvoie l'éclat verni et noir du macadam
lustré tel un disque d'obsidienne.
Une
ombre furtive et souple, semblable à celle d'un chat vient
troubler l'eau vitreuse de ce miroir terrestre, de son profil agile
et fin comme un serpent combattant un rapace.
Le
silence baigne ce coin de rue de présences fantômes que
seul le
jour révèle. Les volets laissent filtrer des rais ternes et
jaunes. Les rideaux de fer blanc sont baissés sur les vitres et
pas même une enseigne ne projette au trottoir son halo électrique.
Tout
semble vivre longtemps d'une sourde pesanteur, sombre
et lourde comme un piège, vivante et inerte telle un mercure
liquide enduisant les masures.
Le gris des devantures se mêle au noir bitume du sol réflexif sous
les lampes pendues qui arrosent les abords.
Une vague silhouette hésite et titube d'un pas lent et sans
rythme; s'arrête puis repars s'appuyant aux murailles puis tantôt
trébuchant jusqu'à perdre l'équilibre s'amarre de justesse à une
borne publique; puis rassuré de sa stupeur remercie le poteau
muet et salvateur dans une langue rauque et lasse à laquelle
même la lune ne semble prêter oreille.
Alors
il disparaît dans un antre obscur et gravissant les marches
à pas lents et sonores, l'homme noir dans la nuit rejoint son
sombre lit où ne luit plus l'espoir.