Ce moment-là
Quelles ombres baignent ta face et
colorent tes paupières
d'un crèpe sépulcral ?
Quelles pensées encore ravivent
tes lèvres blèmes d'un semblant
de sourire dont nul ne
peut connaître l'origine ni le sens ?
Quel est ce souffle froid sorti de ta
narine qui vient frôler mes cils
quand je pose sur toi mes yeux
remplis de pleurs ?
Un sombre maléfice œuvre
au travers les fibres de ce corps sans attache
et cette âme
sans asile...
Un étrange sortilège
sépare ces deux mondes ; de celui des vivants avec
celui
des autres... ceux qui sont sans parole, sans mensonge et sans voix.
Une trahison des sens adultère
l'esprit de celui qui ne songe qu'en des
termes prospectifs sans
jamais voir celui répétant « aujourd'hui »
sans
fatigue et sans fin :
-Aujourd'hui le soleil sombre derrière
la colline sans que plus jamais
naissent ses rayons sur l'orient.
-Aujourd'hui le grand fleuve a vomi
dans la mer son dernier flot tiré
des alpages sereins.
-Aujourd'hui la forêt a gémi
sous le vent mais plus le moindre souffle
désormais ne viendra
attiser tes oreilles sur les souffrances des cimes.
-Aujourd'hui les nuages ont fécondé
la terre mais plus rien à présent ne
viendra des nuées
transhumantes et lointaines.
-Aujourd'hui, au jardin, une humble
primevère a éclos du sol froid mais plus
une once
maintenant, de ces fraîches fragrances ne répandra dans
l'air
son témoignage fleuri...
C'est l'heure des trompettes funestes du jugement !
L'instant est à la foudre fatale de l'orage !
Demain n'existe plus, hier est oublié
et même ce matin disparaît dans les
brumes et fumées
que l'éclair lève sur son passage.
Cris d'alarme et tumulte !
Hurlements et vacarme !
Insultes, ahurissements !
Tout se tait, emporté par les
spires infernales du maelström vorace.
La raison inutile plane
quelqu'instant fugace au-dessus du désastre.
Puis le corps se
fait chair et ses fonctions – absentes -
rendent aux
quatre éléments ce qu'ils n'avaient en
somme, fait qu'emprunter l'espace
d'un fugitif transport jusqu'à
ce moment-là.